Avis | Justin Trudeau n’est peut-être pas à la hauteur du nouveau monde de polarisation

Les carrières politiques se terminent souvent par un échec – un cliché qui existe parce qu’il se révèle trop souvent vrai. Justin Trudeau, l’un des plus grands dirigeants progressistes du monde, se dirige peut-être vers ce moment. Dans une récente entrevue, il a reconnu qu’il envisageait chaque jour de quitter son « travail fou » de premier ministre du Canada. De plus en plus, la question n’est pas de savoir s’il partira, mais dans combien de temps et quelle sera la profondeur de son échec.

L’enjeu est quelque chose qui compte plus que la carrière d’un politicien : la société libérale et multiculturelle contemporaine du Canada, qui se trouve être l’héritage du père et prédécesseur du premier ministre, Pierre Trudeau. Quand vous arrivez à Montréal, vous atterrissez à l’aéroport Trudeau, et c’est à cause de Pierre, pas de Justin.

Bien entendu, la menace qui pèse sur cette tradition libérale n’est pas entièrement la faute de Justin Trudeau. La vague de droite qui a submergé la politique mondiale est arrivée tardivement, mais avec une vigueur refoulée au Canada. Depuis plusieurs années maintenant, les sondages montrent que les libéraux de M. Trudeau sont au plus bas dont aucun parti politique canadien ne s’est jamais relevé lors d’élections. Lors d’une récente élection partielle, dans un district clé de la banlieue de la région du Grand Toronto, le Parti conservateur a battu les libéraux par un score déséquilibré de 57 pour cent contre 22 pour cent, soit un écart de neuf points de pourcentage en faveur des conservateurs.

Mais les sondages et les élections partielles peuvent être de mauvais indicateurs de la viabilité des élections. Un meilleur indicateur est la silhouette déconcertée de M. Trudeau lui-même, qui semble de plus en plus déconnecté du nouveau monde de division et d’extrémisme.

Une partie du problème de M. Trudeau est simplement l’épuisement, tant de ses propres électeurs que de ceux des électeurs canadiens. Il est au gouvernement depuis près de huit ans et demi. Durant cette période, il a été l’un des dirigeants progressistes les plus efficaces au monde. Son gouvernement a réduit de moitié la pauvreté des enfants au Canada. Il a légalisé la marijuana, mettant fin à environ 100 ans d’absurdités. Il a fait de grands progrès dans la réconciliation avec les Canadiens autochtones. Il a renégocié l’ALENA avec un président américain fou. Il a mieux géré Covid que la plupart. Il n’est pas nécessaire de trop plisser les yeux pour reconnaître qu’il est l’un des premiers ministres les plus compétents et transformateurs que ce pays ait jamais produits.

Mais une époque est révolue depuis le début de cette période paisible, lorsque M. Trudeau se tenait devant son premier cabinet et, lorsqu’on lui demandait pourquoi il était à moitié féminin, il répondait : « Parce que nous sommes en 2015 ». Aujourd’hui, une nouvelle génération a émergé, pour laquelle l’ordre technocratique libéral que son gouvernement représente n’a pas réussi à offrir une voie vers un avenir stable et prospère et la politique identitaire qu’il incarnait autrefois s’est flétrie en un schisme vide de sens. Le sentiment anti-Parti libéral croissant parmi les jeunes constitue la plus grande menace à son éligibilité.

Ses adversaires sont bien conscients de l’impopularité de M. Trudeau auprès des jeunes électeurs et ont concentré les attaques conservatrices sur un sujet particulièrement important pour cette cohorte : la crise du logement. L’essor du marché immobilier, dans lequel les mini-maisons de Toronto et de Vancouver coûtent désormais régulièrement plus cher que les propriétés à Paris ou à New York, a été exacerbé par le gouvernement Trudeau qui a fait venir plus d’un million d’immigrants l’année dernière sans avoir construit l’infrastructure nécessaire pour soutenir le marché immobilier. communautés qui les reçoivent.

Depuis des décennies, le Canada est le seul pays au monde où plus les citoyens sont patriotes, plus ils soutiennent l’immigration. Une mauvaise gestion libérale de l’impact de l’immigration pourrait bien mettre fin à cet État béni. La crise du logement est la quintessence de l’échec de M. Trudeau : cela fait du bien – et c’est juste – de soutenir l’immigration. N’est-ce pas là toute l’idée derrière le multiculturalisme ? Mais sans la fermeté nécessaire, sans être franc face à des réalités difficiles, la droiture se détériore rapidement.

La première preuve de la faiblesse du premier ministre face à la polarisation croissante du Canada a été la réponse du gouvernement au soi-disant Convoi de la liberté en 2022, au cours duquel des manifestants anti-vaccins ont tenu Ottawa en otage pendant un mois. Son gouvernement a décidé d’adopter une approche bureaucratique face aux perturbations, en tergiversant pendant que les camionneurs se retranchaient dans la ville, puis en utilisant la loi sur les situations d’urgence pour saisir plusieurs de leurs comptes bancaires. Une décision fédérale de janvier a jugé que l’invocation de la loi par M. Trudeau n’était « pas justifiée ».

D’autres pays ont adopté des approches beaucoup plus simples face à leurs troubles civils à la suite des restrictions liées au Covid. Les Français ont utilisé des gaz lacrymogènes. Au moment où un convoi partait de Los Angeles et se dirigeait vers Washington, à l’imitation du convoi canadien, l’administration Biden a appelé la Garde nationale. D’autres pays le savent : il y a un temps pour la force brute.

La même peur de la confrontation – qui, pour être juste envers M. Trudeau, afflige l’ensemble de la culture et de la politique canadienne – a motivé la nouvelle législation sur les méfaits en ligne, qu’il a proposée en février dans le but de réglementer ou du moins de contenir quelque peu Internet et les réseaux sociaux. médias, de la pornographie de vengeance et du matériel d’abus sexuel sur des enfants aux discours de haine. Il s’agit malheureusement d’un document absurde qui cherche à imposer la vertu par décret.

La peine maximale pour avoir fomenté le génocide – une forme de délit d’expression – est l’emprisonnement à vie, ce qui signifie que des sanctions sévères peuvent être infligées pour les définitions les plus vagues et les plus subjectives. Tout aussi troublante est la mesure selon laquelle si un citoyen canadien « craint pour des motifs raisonnables » qu’un crime haineux soit commis commis, l’individu peut demander une ordonnance selon laquelle une autre personne sera soumise à des conditions imposées par le tribunal quant à ce qu’elle peut dire.

Margaret Atwood a qualifié le projet de loi d’« orwellien ». «C’est encore les Lettres de Cachet» elle a écrit sur X, faisant référence à la capacité du roi dans la France pré-révolutionnaire à emprisonner sans procès. L’esprit derrière la nouvelle loi est le pire du Canada : soyez gentil, sinon. Et cela ne fera rien pour contenir la vague de désinformation qui gonfle.

Mais plus que tout autre événement, c’est l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre qui a révélé l’incapacité de M. Trudeau à lutter pour les valeurs libérales. Depuis ce jour, la communauté juive canadienne est soumise à une violence sans précédent depuis les années 1930. Une synagogue a été la cible d’une bombe incendiaire, une école juive a été touchée par des tirs, un hôpital juif pris pour cible par une foule antisémite, une librairie juive vandalisée, un quartier juif perturbé, une épicerie juive incendiée. Une foule devant un musée de l’Holocauste à Montréal a scandé « Mort aux Juifs ». La réponse de M. Trudeau a été un appel à ce que tout le monde s’entende bien. « Cela doit cesser », a-t-il déclaré, faisant référence au lancement d’un cocktail Molotov dans une synagogue. “Ce n’est pas ce que nous sommes en tant que Canadiens.”

Cette litanie d’échecs est d’autant plus significative en raison du nom de M. Trudeau. À un moment de crise pour le multiculturalisme canadien, il contraste mal avec son père. Pierre Trudeau n’était pas simplement un homme politique canadien parmi d’autres ; il a adopté la Charte des droits et libertés tout en établissant la Constitution du Canada comme étant la sienne et non soumise au Parlement britannique. Il a rendu légal le divorce sans faute et l’homosexualité. Il a institué la politique officielle du multiculturalisme, qui a énoncé comme une question de droit que les citoyens canadiens soient encouragés à pratiquer leur religion et à conserver leur identité.

Pierre Trudeau était peut-être l’architecte le plus important du Canada libéral, mais il était aussi un dur à cuire. Il a invoqué la Loi sur les mesures de guerre d’urgence contre les terroristes séparatistes en 1970, suspendant les libertés civiles et faisant appel à l’armée. Lorsque les journalistes lui ont demandé jusqu’où il était prêt à aller, il a répondu : « Regardez-moi. » Pierre Trudeau savait que l’ordre libéral exige une défense énergique et pratique – et parfois laide.

Son fils semble désormais croire qu’il suffit de dire aux gens d’être gentils les uns envers les autres. Cette faiblesse ne menace pas seulement la société multiculturelle fondée par son père ; cela menace les valeurs progressistes partout dans le monde. Pour beaucoup, le Canada semblait être la seule bougie allumée pour les valeurs du pluralisme et du libéralisme, alors qu’elles ont été éteintes ailleurs dans le monde.

Justin Trudeau n’est pas obligé de déclencher des élections avant 2025. Il a déjà remporté des élections contre toute attente. Mais le temps ne joue pas en son faveur. Ce n’est plus le monde de Pierre Trudeau. Cela ne ressemble pas non plus beaucoup à celui de Justin Trudeau.

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